Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/98

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futaies, Courtomieu vante ses prairies et ses eaux jaillissantes.

On y arrivait alors par une longue et étroite chaussée mal pavée, très-laide, et qui gâtait absolument l’harmonie du paysage. Elle avait cependant coûté au marquis les yeux de la tête, à ce qu’il disait, et, pour cette raison, il la considérait comme un chef-d’œuvre.

Quand la voiture qui amenait Martial et son père quitta la grande route pour cette chaussée, les cahots tirèrent le duc de la rêverie profonde où il était tombé dès en quittant Sairmeuse.

Cette rêverie, le marquis pensait bien l’avoir causée.

— Voilà, se disait-il, non sans une secrète satisfaction, le résultat de mon adroite manœuvre !… Tant que la restitution de Sairmeuse ne sera pas légalisée, j’obtiendrai de mon père tout ce que je voudrai… oui, tout. Et s’il le faut, il invitera Lacheneur et Marie-Anne à sa table.

Il se trompait. Le duc avait déjà oublié cette affaire ; ses impressions les plus vives ne duraient pas ce que dure un dessin sur le sable.

Il abaissa la glace de devant de sa voiture, et après avoir ordonné au cocher de marcher au pas :

— Maintenant, dit-il a son fils, causons !… Vous êtes décidément amoureux de cette petite Lacheneur ?…

Martial ne put s’empêcher de tressaillir.

— Oh !… amoureux, fit-il d’un ton léger, ce serait peut-être beaucoup dire. Mettons qu’elle m’inspire un goût assez vif, ce sera suffisant.

Le duc regardait son fils d’un air narquois.

— En vérité, vous me ravissez !… s’écria-t-il. Je craignais que cette amourette ne dérangeât, au moins pour l’instant, certains plans que j’ai conçus… J’ai des vues sur vous, marquis !…

— Diable !…

— Oui, j’ai mes desseins et je vous les communiquerai plus tard en détail… Je me borne pour aujourd’hui à vous recommander d’examiner Mlle Blanche de Courtomieu.