Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/105

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ténèbres à la limite où expirait la clarté des feux, Un cri s’échappa de sa bouche.

« Oh ! malheur ! malheur ! s’écria-t-elle, j’aperçois deux cavaliers ! Sainte Vierge, faites que ce ne soient que des ombres ! Mais non… les ombres deviennent plus distinctes… Mère de Dieu ! ce sont bien deux cavaliers… ils volent comme le vent… mais, si vite qu’ils aillent, ils arriveront trop tard ! »

Une clameur de détresse partit des terrasses de l’hacienda, sur lesquelles maîtres et serviteurs s’étaient groupés. C’était en effet un émouvant spectacle que celui de la lutte désespérée de deux hommes contre la masse effrayante des eaux, dont ils voyaient dans l’éloignement les vagues s’avancer et dont ils distinguaient déjà les panaches d’écume empourprée par la lueur des brasiers.

D’autres, pendant ce temps, à cheval sur le chaperon du mur d’enceinte, s’étaient munis de longues cordes pour les jeter au besoin aux naufragés en détresse. Mais les deux sœurs, de la fenêtre de leur chambre, ne pouvaient voir ces apprêts de sauvetage.

Marianita, frémissant de cette avide curiosité qui nous pousse souvent malgré nous, et les femmes surtout, à contempler un déchirant spectacle, se collait avec une sorte de voluptueuse terreur aux grillages de la fenêtre.

« Viens, Gertrudis, lui cria-t-elle sans détourner les yeux, malgré les palpitations de son cœur, viens les voir ; si l’un d’eux est ce don Rafael que je ne connais pas, tes yeux le distingueront et ta voix l’encouragera.

— Oh ! non, non, je ne saurais, répondit la jeune fille, dont le front incliné balayait humblement le sol aux pieds de la madone… je ne saurais voir sans m’évanouir cet affreux spectacle ; et qui prierait alors pour mon Rafael ? C’est, lui, mon cœur ne me le dit que trop !