Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/19

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une conque marine, longue, mince et recourbée, dont la nacre étincelait sur sa poitrine.

Au total, en dépit de sa remarquable physionomie, ce personnage, qui avait si étrangement signalé sa présence, me fit éprouver une espèce de désappointement ; je me l’étais figuré tout autre, je ne sais pourquoi, ou, pour mieux dire, mon imagination avait été trop vite en besogne, excitée par la scène solennelle qui m’entourait. Je ne voulus pas cependant laisser passer cet Indien sans échanger quelques mots, avec lui.

« Un bon temps pour voyager, mon maître, lui dis-je, afin d’entrer en conversation.

— Surtout pour un homme dont l’âge ; engourdit déjà les jarrets, » reprit l’Indien.

J’avais cru voir flotter sur ses épaules une épaisse chevelure noire, et je le regardai de nouveau avec plus d’attention ; je ne m’étais point trompé. Ses cheveux avaient bien le reflet bleuâtre particulier à la nuance de l’ébène la plus foncée. Ses traits bronzés étaient anguleux, sa peau paraissait fortement collée à son visage ; mais il n’y avait pas de trace de ces rides profondes que creusent d’ordinaire les années sur la figure humaine. L’Indien s’aperçut sans doute de mon étonnement, car il ajouta, pendant que je le considérais :

« Il y a des corbeaux qui ont vu cent renouvellements de saisons, et dont cependant aucune plume n’a blanchi.

— Quel âge avez-vous donc ? lui demandai-je.

— Je n’en sais rien, seigneur cavalier ; j’ai voulu, depuis que j’ai été en état de distinguer la saison sèche de la saison des : pluies, compter combien j’en avais vu des unes et des autres, et je me suis brouillé dans mon compte. Depuis que j’ai vu la cinquantième… pour des raisons très-particulières… je n’y attachais plus d’importance, et il y a longtemps que je ne m’en occupe plus. Que me fait, à moi, le cours des ans ? Un corbeau