Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/20

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est venu croasser sur le toit de la cabane de mon père, à l’instant où je suis né, à l’instant même où un parent dessinait sur le sol de la hutte la figure d’un de ces oiseaux ; je dois donc vivre aussi longtemps que le corbeau qui est venu se percher sur le toit paternel ; dès lors, à quoi bon compter ce qui doit être innombrable ?

— Ainsi vous croyez votre existence attachée à celle du corbeau perché sur le toit de votre hutte pendant que vous naissiez ?

— C’est la croyance des Zapotèques[1], mes pères, et c’est aussi la mienne, » répondit gravement l’Indien.

Je n’avais que faire de combattre les superstitions du Zapotèque, et je me bornai à lui demander si c’était pour charmer les ennuis de la route qu’il portait sa trompe marine avec lui, ou s’il s’y rattachait quelque autre croyance de ses pères.

L’Indien hésita un moment.

« C’est un souvenir du pays, répliqua-t-il après un court silence. Quand j’entends les échos de la sierra répéter les sons de ma conque ; je me figure être toujours dans les montagnes de Tehuantepec, à l’époque où je chassais le tigre, par suite de ma profession de tigrero ; ou bien encore je crois entendre les signaux d’appel qui réunissaient les plongeurs du golfe, quand j’étais buzo[2] de mon métier : car j’ai fait la chasse, aux tigres de mer qui gardent les bancs de perles sous les eaux, comme à ceux de terre qui ravagent nos troupeaux dans les savanes. Mais le temps s’écoule, seigneur cavalier, et je dois être à l’hacienda de Portezuelo à midi. Que Dieu vous protége ! »

Les membres à moitié nus de l’Indien fumaient encore comme ceux d’un cheval de course. Sans donner le temps de se dissiper aux légers tourbillons de vapeur

  1. L’une des anciennes tribus indiennes du Mexique.
  2. Plongeur, pêcheur de perles.