Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Don Rafael avait sa tente dans le camp de Caldelas ; il avait peu dormi cette nuit-là.

En vain, par un temps d’orage, le manteau d’épaisses vapeurs qui couvre le ciel laisse voir, en s’entr’ouvrant un moment, quelque pan presque impénétrable d’azur ; bientôt les nuages se referment et l’azur disparaît.

Il en était de même du faible rayon d’espoir qui avait un instant brillé aux yeux du colonel ; sa sombre mélancolie avait repris le dessus, et le rayon d’espoir s’était évanoui.

L’homme qui aime à la passion, comme celui qui n’aime que médiocrement, sont l’un et l’autre également inhabiles à apprécier les preuves de l’amour qu’ils inspirent. La passion égare le jugement et trouble la vue de l’un ; l’indifférence rend l’autre inattentif et distrait, tout passe inaperçu devant ses yeux. Don Rafael était dans le premier cas, et, quelque éprise que se fût montrée Gertrudis, il ne se disait pas qu’elle ne l’aimait plus, mais qu’elle ne l’avait jamais aimé. Lui qui avait presque sacrifié son amour à sa fierté ne pensait pas que l’orgueil de la femme a aussi ses jours de révolte contre son cœur.

De là naissait le profond découragement qui s’était emparé de lui et avait éteint ses espérances un instant ravivées.

Las de se retourner sans sommeil sur la couche dure du soldat en campagne, il avait fait seller son cheval aux premiers sons de la diane, et il avait été chercher dans la promenade quelque distraction à sa noire mélancolie

L’aspect de la plaine ravagée, où tout espoir de moisson était désormais perdu, lui rappelait ses douces illusions détruites à leur naissance comme le bouton d’une fleur qu’on enlève de sa tige avant qu’il soit épanoui. Sans s’en apercevoir, il était à plus d’une lieue du camp lorsqu’il entendit, au milieu du silence profond qui ré-