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le général m’est redevable ; mais si j’ai droit à quelque récompense, je n’en veux pas d’autre que la vie et la liberté de don Rafael Tres-Villas.

— Je n’implore de grâce de personne, interrompit le colonel avec fierté.

— M’accorderez-vous celle de me tendre la main, du moins ? reprit Trujano en présentant cordialement la sienne au colonel.

— Jamais à un vainqueur, répondit le colonel, touché néanmoins, malgré lui, des paroles de son ennemi.

— Il n’y a ici ni vainqueur ni vaincu, dit le colonel Trujano avec ce regard et ce sourire qui lui gagnaient tous les cœurs, lorsque l’austérité religieuse n’en effaçait pas l’expression de loyale douceur ; il n’y a qu’un homme qui se souvient.

— Et un autre qui n’a pas oublié ! » s’écria chaleureusement don Rafael en saisissant la main toujours tendue devant lui.

Puis, rapprochant leurs chevaux, les cavaliers échangèrent une cordiale accolade. Trujano saisit cette occasion pour dire tout bas à l’oreille de son ennemi, avec une délicatesse qui toucha plus profondément encore le colonel, dont il ménageait la fierté :

« Partez, vous êtes libre ; seulement, ne faites plus raser la chevelure des femmes, quoiqu’il y en ait une dont le cœur a tressailli d’orgueil en devinant pourquoi le vainqueur d’Aquas Calientes lui envoyait ce terrible et lointain souvenir. »

Et il ajouta, en se dégageant de l’étreinte tout à coup convulsive de don Rafael :

« Allez vous constituer prisonnier à l’hacienda de la Palmas, seigneur colonel ; le chemin vous est ouvert Allez-y, croyez-moi. »

Alors, comme si c’eût été trop longtemps s’occuper de pensées mondaines, la figure de Trujano reprit son expression habituelle d’ascétique gravité, et, quand les