Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/290

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Et la conclusion de son discours était invariablement qu’il fallait traiter en royaliste un maître qu’on servait dans des plats d’argent ; faire de ces plats des piastres, et réduire don Mariano à la condition de loyal insurgé, c’est-à-dire à l’obligation de manger avec ses doigts comme les insurgés de bon aloi.

Mais Arroyo avait plus soif de sang que d’argent, de destruction que de pillage, et il rejetait les propositions de son associé. Cependant, après qu’il eût été forcé de dévorer devant son ancien maître et ses deux filles l’outrage sanglant infligé à sa lâcheté par le capitaine Tres-Villas, il reporta sur eux une partie de la haine terrible qu’il avait conçue pour don Rafael.

Peut-être, au moment de fuir de l’hacienda trop voisine de celle del Valle, qui servait de forteresse au redoutable capitaine, y eût-il laissé quelque trace sanglante de son passage, si, à son tour, Bocardo ne lui eût représenté que, une fois débarrassé de sa vaisselle plate, don Mariano devenait dévoué à la sainte cause de l’insurrection et respectable à tous égards ; que les insurgés pauvres pouvaient demander à leurs frères leur argent, mais non leur sang.

L’épaisse intelligence du sanguinaire Arroyo ne se rendait pas bien compte de la valeur des raisonnements de Bocardo : mais il se laissait assez volontiers guider par son astucieux compagnon, quitte à se venger parfois de l’avoir trop docilement écouté, et, pour ne pas trop nuire à la cause qu’il avait embrassée, il se rendit à l’avis de son collègue.

Bocardo fit main basse sur toute la vaisselle d’argent et sur une foule d’autres objets précieux qui ne se retrouvèrent plus dans le partage fait entre lui, Arroyo et les hommes de leur bande, et tous délogèrent une nuit de l’hacienda, non sans de vives appréhensions de voir à leurs trousses l’un des terribles hôtes del Valle, don Rafael ou le capitaine Caldelas.