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pes, les unes de forte toile de chanvre, les autres d’un épais tissu de fil d’aloès.

Deux factionnaires, armés de pied en cap de carabines, de couteaux et de sabres, allaient et venaient en montant la garde près de cette tente, mais à une distance assez grande pour que ni l’un ni l’autre ne pût entendre ce qui se disait dans l’intérieur.

Cette tente était celle des deux chefs, et Arroyo s’y trouvait pour le moment en compagnie de son digne associé Bocardo. Chacun d’eux était assis sur un crâne de bœuf, en guise de siége, et tous deux fumaient une épaisse et longue cigarette de feuilles de maïs. À l’attitude que gardait le premier, les yeux fixés sur le sol, qu’il labourait de la molette à six pointes de ses pesants éperons, il était facile de voir que Bocardo employait les ressources de son intelligence pour déterminer son camarade à quelque mauvaise action.

« Certes, disait-il, je suis disposé à rendre justice à toutes les vertus de Mme Arroyo ; elles sont touchantes : quand un homme est blessé, elle lui jetterait volontiers du piment enragé[1] sur ses blessures. Rien n’est plus intéressant que la manière dont elle intercède pour les prisonniers que nous condamnons à mort, en obtenant, pour la plupart du temps, qu’on ne les fasse mourir que le plus tard possible… je veux dire le plus lentement qu’il se peut…

— Ce n’est pas par égoïsme qu’elle agit ainsi, la pauvre femme, interrompit Arroyo ; car c’est encore plus pour moi que pour elle.

— Elle est si dévouée !… Ah ! c’est une bien digne femme !…

— Certainement. Et que de ressources dans l’esprit ! Ainsi, par exemple, c’est elle qui a eu cette ingénieuse idée pour notre salut à tous deux : comme nous ne

  1. Expressions en usage aux colonies pour désigner une espèce de piment très-fort.