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L’audace de ces deux hommes était effrayante.

Tous deux, tantôt à tour de rôle, tantôt ensemble, s’avançaient au-dessus de la cascade mugissante, se suspendaient par les bras aux rameaux des cèdres et mouillaient leurs pieds dans l’écume, ou se penchaient au-dessus de la nappe d’eau avec une hardiesse qui causait à l’officier une sorte de vertige.

Les yeux fixés sur les eaux bouillonnantes de la cataracte, ces deux étranges personnages n’apercevaient point don Rafael. Celui-ci pensait qu’un objet invisible pour lui devait absorber leurs regards, et il aurait cru volontiers que c’était de quelque nymphe des eaux que le nègre essayait la conquête, à en juger du moins par le manège prétentieux de ses gestes et de sa physionomie. Sa large bouche, en s’ouvrant jusqu’aux oreilles avec une coquetterie grotesque, laissait voir la double rangée de ses dents, dont la blancheur contrastait avec l’ébène de sa figure. Il allongeait son noir visage autant qu’il le pouvait sur la nappe de la cascade, comme si l’objet dont il voulait capter la bienveillance eût été caché sous la voûte écumeuse qu’elle formait.

L’Indien, de son côté, se livrait, mais avec plus de dignité, aux mêmes grimaces et aux mêmes attitudes que le noir, évidemment dans un but semblable. L’officier avait beau regarder la cascade de tous ses yeux, il ne voyait toujours que la masse blanche de son écume.

Bientôt le Zapotèque, tout en se penchant d’une main au-dessus de l’abîme, fit signe à son compagnon de cesser ses grimaces, et le nègre ne laissa plus voir que sa face noire, immobile et sérieuse.

L’Indien alors étendit le bras en avant et commença une espèce d’incantation solennelle, accompagnée de chants perdus dans le fracas des eaux. L’officier voyait distinctement, en effet, dans le jeu des muscles de la bouche de l’Indien, qu’il chantait à pleine poitrine.

Bien qu’il en coutât à la curiosité de don Rafael d’in-