Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/120

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Depuis le moment (et ce moment venait à peine de s’écouler) où le coureur des bois canadien avait entrevu un beau soir pour sa vie, au milieu des déserts et avec l’enfant qui avait promis de ne plus le quitter, une révolution subite s’était faite dans son âme et à son insu.

Les périls de tout genre que présente le désert à ceux qui en ont fait leur patrie, et qui jusqu’alors, comme l’avait dit Pepe, avaient été pour Bois-Rosé un stimulant plein de puissance, venaient de l’effrayer vaguement pour la première fois.

Au milieu de l’îlot du Rio-Gila, son courage n’avait pas fléchi, bien que son cœur se fût ému de douleur à l’idée du danger qui menaçait Fabian.

Sur la plate-forme de la pyramide, un malaise secret s’emparait de lui. Ses yeux paraissaient n’avoir plus ce regard vif comme l’éclair qui lui faisait entrevoir à côté du danger l’issue pour y échapper ; sa fertilité d’expédients semblait une source tout à coup tarie.

Pendant que Pepe se plaisait à dévoiler le plan de campagne de leurs ennemis, plusieurs fois le Canadien avait ouvert la bouche, et autant de fois, étonné des sentiments que sa bouche allait traduire, il avait étouffé ses paroles.

La conclusion de Pepe lui donna plus de hardiesse.

« Mais, objecta Bois-Rosé, qui saisit au passage une idée de consolation dans les paroles de son compagnon, de deux choses l’une : ces bandits qui s’apprêtent à fondre sur nous ignorent ou connaissent l’existence de ce placer ; je ne parle pas de Baraja qui la connaît ; puisque Fabian n’en veut pas plus que nous, nous leur révélerons le secret s’ils l’ignorent, et, s’ils le connaissent, nous n’aurons rien à leur apprendre ; dans l’un et l’autre cas nous leur céderons la place, et nous nous en irons sans échanger un coup de fusil. Qu’en dites-vous ?… »

Pepe garda un silence glacial.

« C’est le seul moyen à employer, » s’écria le Cana-