Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/121

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dien persistant dans son opinion en dépit du silence de son rude compagnon, dont il pouvait facilement deviner la cause.

Pepe se remit à siffler la marche qu’il avait interrompue. Fabian se taisait aussi, et le vieillard intrépide, à qui son amour pour son enfant conseillait une lâcheté, se détourna en soupirant pour cacher malgré la nuit la honte qui colorait son visage.

« Il conviendrait peut-être aussi, dit enfin le carabinier avec une ironie que le vieux vétéran des déserts ressentit comme un coup de poignard, que nous leur offrissions de leur servir de bêtes de somme pour leur épargner la peine de porter leur butin eux-mêmes. Ce sera beau, n’est-ce pas, de voir deux guerriers blancs qui seuls ont poussé jadis sans pâlir leur cri de guerre en face d’une tribu d’Indiens tout entière, courber le front devant l’écume des déserts ? Ah ! don Fabian, ajouta le chasseur espagnol dans l’amertume de son cœur, qu’avez-vous fait de mon vaillant et chevaleresque Bois-Rosé ?

– Oh ! mon Fabian, étoile radieuse qui s’est levée sur le soir de mes jours, s’écria Bois-Rosé, vous qui m’avez rendu la vie si chère, si douce à porter, n’écoutez pas cet homme au cœur de roc, il n’a jamais aimé. »

En disant ces mots, le géant couché, le cœur combattu par sa tendresse qui grandissait et son indomptable courage qu’il sentait faiblir, s’agitait comme Encelade sous son volcan de l’Etna.

« Bois-Rosé, dit Pepe d’un ton douloureux, nous avons passé un jour de trop ensemble, puisque déjà vous avez oublié…

– Je n’ai pas oublié que le couteau à scalper avait déjà tracé autour de ma tête un sillon sanglant, quand vous m’avez sauvé au risque de votre vie ; il n’est pas une heure d’angoisse ou de joie que nous ayons passée ensemble depuis dix ans qui ne soit présente à ma mémoire. Excusez l’amertume de mon langage ; vous ne pouvez