Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Espagnol s’avança en rampant sur les bords de la plate-forme pour jeter un coup d’œil dans la plaine et au sommet des rochers.

Les premières et indistinctes lueurs de l’aube éclairaient une solitude aussi profonde en apparence que le jour précédent.

« La plaine est déserte, dit l’ex-miquelet, et, si vous m’en croyez, puisque nous sommes décidés à faire comme les lions de l’Atlas, je suis d’avis de battre en retraite, tandis que nous le pouvons encore. Attendre plus longtemps le bon plaisir de ces coquins me semble dangereux. Une capitulation n’entre guère dans les mœurs du désert, vous le savez. »

Avant de répondre à la proposition de Pepe, le Canadien s’avança à son tour à l’extrémité de la plate-forme pour essayer de percer le voile grisâtre étendu sur la plaine.

Les irrégularités du terrain, les pierres dont elles étaient semées ne présentaient encore que des lignes ou des formes insaisissables à l’œil, et le long de ces pierres, dans les crevasses du sol, des ennemis pouvaient se glisser inaperçus et guetter en sûreté les mouvements des trois chasseurs.

Bois-Rosé, trompé par la tranquillité apparente qui régnait au loin, eût peut-être goûté l’avis de son compagnon de fuir tout de suite, si ses oreilles ne fussent venues rectifier le jugement de ses yeux.

Les loups continuaient à hurler après le cadavre du cheval du duc de l’Armada, quand un son plus plaintif se mêla aux glapissements qu’ils faisaient entendre. Ce signe fut compris par le coureur des bois.

Il revint s’asseoir à sa place.

« Penser que la plaine est libre, c’est folie, reprit Bois-Rosé. Tenez, j’entends d’ici les loups grogner après un cadavre dont ils n’osent approcher. Je reconnais cela à leur intonation ; je juge qu’il y a deux ou trois Indiens derrière cette charogne. »