Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/131

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cascade une pâle lueur scintillait dans le brouillard ; c’était le foyer que Main-Rouge venait de faire allumer à la crête des rochers.

« Oh ! s’écria dédaigneusement Pepe, quant à ceux qui perchent là-haut, je m’en soucie comme d’une troupe de goélands sur une falaise ; leurs flèches pas plus que leurs balles ne perceront le rempart flottant que je leur ai opposé. Pour ceux-ci, continua l’Espagnol en ramenant ses regards dans la plaine, voilà des coquins persévérants et qui se rapprochent petit à petit. »

En disant ces mots, Pepe tournait le canon de sa carabine dans la direction du cheval mort, et montrait à Bois-Rosé, à quelque distance en deçà de l’animal, deux corps noirs pelotonnés en boule et immobiles comme des idoles indiennes.

« Ces gens nous méprisent, et ils ont raison, sur mon âme ! Ah ! Bois-Rosé, pourquoi faut-il ?… »

Pepe n’acheva pas ; un regard suppliant de son vieux compagnon fit expirer le reproche sur ses lèvres.

« Qu’il me faille mourir pour lui ou pour vous, et vous verrez, Pepe, s’écria Bois-Rosé.

– Je le sais, parbleu ! je le sais, murmura Pepe. Cela n’empêche pas que les deux corps que nous voyons accroupis étaient derrière le cheval, et qu’ils sont à présent devant. Je ne puis cependant pas les laisser se morfondre ainsi : mais soyez tranquille, je vais leur parler en ami pour ne pas les irriter.

– Vous feriez peut-être mieux de vous taire, dit le Canadien ; je me défie de votre langue quand elle s’adresse à un ennemi quel qu’il soit, et surtout à des Indiens.

– Vous allez voir. »

Et Pepe, prenant le ton le plus conciliant qu’il lui fut possible, s’écria d’une voix de Stentor :

« L’œil d’un guerrier blanc désirerait ne voir qu’une charogne dans la plaine, et il en voit trois : ce sont deux de trop. »