Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/132

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Les phrases conciliatrices de l’Espagnol firent sur les deux guerriers indiens l’effet d’une flèche lancée sur eux. Tous deux se levèrent d’un bond sur leurs pieds, se dressèrent de toute leur hauteur et poussèrent ensemble un hurlement de bête féroce ; puis, en deux autres bonds, ils disparurent derrière la chaîne de rochers.

« Des diables aspergés d’eau bénite, dit l’ex-miquelet avec un éclat de rire où le mépris se mêlait à la rage.

– À tout prendre, vous avez bien fait, s’écria Bois-Rosé, dont la vue de ses ennemis abhorrés fouettait le sang, et à qui l’approche de l’action rendait ce courage que sa tendresse pour Fabian pouvait seule dompter.

– Hourra ! je retrouve enfin mon vieux coureur des bois, s’écria Pepe avec exaltation et en tendant les deux mains, l’une au Canadien, l’autre à Fabian. Allons, allons, nous n’avons ni clairons ni trompettes ; eh bien, poussons notre cri de guerre comme jadis, comme il convient à trois guerriers sans peur en face de ces chiens. Faites comme nous, don Fabian, vous qui avez déjà reçu le baptême du feu. »

Et ces trois hommes intrépides, debout, chacun la main dans la main de son ami, modulant avec celle qui leur restait libre les farouches intonations du cri de guerre indien, poussèrent à leur tour trois hurlements terribles qui par leur force et leur sauvage harmonie, ne le cédaient en rien à ceux des fils du désert.

Jamais plus formidable cri de guerre ne fut jeté jadis aux échos de la Palestine, lorsque nos vaillants chevaliers, la lance en arrêt, criaient : À la rescousse ! en chargeant les infidèles.

Du haut de la cascade et du sommet des rochers qui dominaient sur le val d’Or, les onze guerriers indiens répondirent par des hurlements farouches à ceux de leurs frères ; l’écho de la plaine les répéta. Bientôt la voix de l’homme se tut, et le désert retomba dans son morne silence habituel.