Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/134

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fidèle à son système de faire aimer à son Fabian cette terrible vie des déserts, malgré ses dangers ; mais il y a des jours d’abondance aussi, pendant lesquels la table des puissants de la terre n’est pas servie comme la nôtre. Ne nous est-il pas arrivé cent fois d’avoir à choisir depuis l’humble fretin des ruisseaux de la plaine jusqu’au monstrueux saumon des cataractes de la montagne ; depuis l’alouette des champs jusqu’au grand coq d’Inde ; depuis le plus petit des quadrupèdes qu’il est donné à l’homme de manger, jusqu’au bison des prairies, le plus colossal d’entre eux ? Vous verrez, vous verrez, lorsque… » Le Canadien tomba tout à coup du haut de son enthousiasme au sentiment de la réalité qui les pressait tous… « Lorsque Dieu aura détourné de nous ce nouveau danger, acheva-t-il d’une voix émue.

– Le dernier des Mediana, celui qui hier encore pouvait prendre une si large part de ces trésors, a plus d’une fois, au sein de la misère qu’on lui avait faite, entendu les grondements de la faim dans ses entrailles. Je n’ai pas fait de la vie un plus doux apprentissage que vous, dit Fabian.

– Pauvre garçon ! ajouta Bois-Rosé.

– Et Gayferos, s’écria Pepe, que va-t-il devenir pendant tout ce temps ?

– Pour lui, comme pour nous, à la grâce de Dieu, reprit le Canadien ; à présent ne pensons qu’à nous. Pour peu que parmi ces Indiens il se trouve quelque parent, quelque ami, ou même tout simplement quelques-uns des guerriers de l’Oiseau-Noir, le combat sera une lutte à mort. Dans cent ans les descendants de ceux-ci demanderaient encore aux nôtres compte du sang indien que nous avons fait couler sur les bords du Rio-Gila ; il convient donc de n’omettre nulle précaution. »

Les trois chasseurs déposèrent, à l’abri des couvertures dont ils s’étaient fait un rempart, leurs cornes de buffle pleines de poudre, de peur qu’une balle en les attei-