Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/136

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Main-Rouge et Sang-Mêlé, confiants dans leur force et leur adresse, avaient assisté avec une impatience mêlée de dédain à tous les préparatifs habituellement si lents d’une attaque indienne.

Lorsque enfin ceux des Apaches qui connaissaient par une sanglante expérience le sang-froid et le courage de leurs redoutables adversaires crurent qu’ils pouvaient ouvrir le feu, se trouvant suffisamment en sûreté derrière les fascines qu’ils avaient amoncelées et les buissons épais dont les rochers étaient revêtus à leur sommet, Main-Rouge frappa le sol de sa carabine.

« Ah çà ! dit-il avec un énorme juron, il est temps d’en finir. Sans ces chiens… sans ces Indiens, veux-je dire, avec leur stupide amour pour les chevelures qui ne rapportent rien, nous sommerions ces brigands là-haut de nous livrer leur magot, et en leur disant qui nous sommes, ce serait fini ; nous les verrions déguerpir comme les chiens des prairies dont on évente le terrier.

— Ah ! vieux drôle, dit le métis avec un juron qui ne le cédait en rien pour l’énergie à celui de son odieux père, et en faisant allusion à un bruit qui courait sur Main-Rouge parmi les tribus indiennes, il vous faut à vous des chevelures lucratives, de celles que les gouverneurs des frontières vous payaient, dit-on, jadis au poids de l’or. Ces Indiens veulent trois chevelures et il les auront, entendez-vous ? »

Le père et le fils se lancèrent un de ces regards sinistres qui avaient si souvent dégénéré, entre ces coquins sans frein ni loi, en sanglantes querelles ; mais ils s’en tinrent là pour cette fois. Chacun d’eux sentit que le moment était mal choisi pour donner carrière à leurs hideuses passions, et le père reprit, en dévorant sa colère :

« Eh bien, que faut-il faire alors ?

— Que faut-il faire ? répéta Sang-Mêlé en s’adressant à celui des Indiens qui paraissait le plus influent parmi eux.