Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/149

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quand l’impatience va les prendre, ils n’auront plus qu’un but, celui de nous tuer le plus tôt possible pour en finir. Dieu veuille, du reste, que je ne me trompe pas, car pour essayer de nous tuer ils se découvriront ; autrement, s’ils persistaient dans l’intention qu’ils ont annoncée, il pourrait arriver telle circonstance, où, malgré la terrible et dernière ressource que nous offre cet abîme, nous pourrions être pris les armes à la main, sans qu’il nous restât la possibilité de nous élancer dans le gouffre et de nous poignarder l’un l’autre. »

Devant cette effrayante possibilité et devant celle non moins effrayante où l’un d’eux pourrait tomber seul entre les mains d’ennemis sans pitié, les trois chasseurs sentirent un moment l’émotion les gagner.

C’est une sainte et indissoluble amitié que celle de Bois-Rosé et de Pepe : c’était dix années de périls et de combats communs. Depuis l’océan Atlantique jusqu’aux bords de l’océan Pacifique, les carabines des deux chasseurs avaient mêlé leurs détonations ; leurs mains s’étaient pressées dans bien des luttes désespérées ; les joies de l’un avaient été les joies de l’autre. La faim, la soif, qui désunissent le père et le fils, n’avaient pu rompre le lien qui les attachait, et ils avaient partagé leur dernière goutte d’eau comme leur dernière par celle d’aliments. En un mot, c’étaient une amitié des déserts où haine, vengeance, amour, toutes les passions grandissent comme l’immensité où elles prennent naissance. Cette amitié réciproque des deux chasseurs était devenue commune à Fabian, et un lien indissoluble unissait les trois amis.

Après ce premier moment de faiblesse humaine dont les hommes au cœur fort ne sont pas même exempts, Bois-Rosé et ses deux compagnons devinrent ce qu’avait fait d’eux l’habitude des dangers, d’intrépides aventuriers, sinon tout à fait sans reproche, du moins sans peur, et semblables à de souples et vigoureuses lames de To-