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Quand tous deux s’étaient vus à l’abri derrière les rochers escarpés fermant l’enceint du val d’Or du côté de l’ouest, ils n’avaient pas perdu de temps à s’éloigner du lieu qui avait failli leur être si funeste. Cette chaîne des rochers s’abaissait dans la plaine en une inclinaison assez douce, et se rejoignait aux Montagnes-Brumeuses comme un contre-fort jeté sur leurs flancs.

En suivant cette espèce de rempart, il fut facile aux deux aventuriers de gagner les retraites impénétrables de la Sierra. Ils ne tardèrent pas à faire halte dans une gorge profonde au fond de laquelle, cachés par les vapeurs suspendues au-dessus de leurs têtes, ils se trouvèrent complétement en sûreté.

Là, un flot de joie inonda leur cœur, et les sensations qu’ils éprouvaient furent d’abord trop vives pour leur permettre d’échanger un seul mot pendant le premier moment.

« Permettez-moi, seigneur Oroche, dit Baraja, qui recouvra le premier la parole, de vous féliciter d’avoir échappé aux carabines de ces intraitables tueurs de tigres.

– D’autant plus volontiers, seigneur Baraja, que, si vous aviez eu le crâne fracassé d’une balle (car ces diables incarnés ont un faible pour viser toujours les gens à la tête), il vous eût été difficile de me faire agréer vos compliments, et que je suis fort aise de vous voir vivant. »

En quoi Oroche fardait un peu la vérité. Dans le fond de sa pensée, et sans trop se rendre compte pourquoi, il eût presque mieux aimé rester seul. Le voisinage d’un trésor fait naître assez ordinairement le désir de la solitude.

Peut-être les compliments de Baraja n’étaient-ils pas plus sincères que ceux d’Oroche, et nous doutons que l’habitude des chasseurs de tigres de viser leurs ennemis à la tête lui eût paru aussi fâcheuse qu’au gambusino, si celui-ci leur eût servi de but.