Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/164

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l’empêche d’en trouver un ; il faut tuer les trois blancs.

– Il y a un moyen. Pendant que nous chasserons là dans la plaine, pendant que nous mangerons la chair des élans ou des daims, tandis que la fumée de notre venaison montera jusqu’au sommet du rocher où sont les trois blancs, la faim s’assiéra au milieu d’eux.

– C’est bien long, reprit le métis ; les Apaches auront à compter plusieurs jours et plusieurs nuits.

– Ils les passeront.

– Les heures de Sang-Mêlé et de Main-Rouge sont précieuses ; leurs affaires les appellent au delà de ces montagnes. Ils ne peuvent rester plus longtemps que jusqu’au prochain soleil. Le Chamois ne trouve-t-il pas de meilleur moyen que la faim ?

– Mon frère indien en trouvera un, parce qu’aux qualités de l’Indien il joint l’esprit subtil des blancs, à qui rien n’est impossible. El-Mestizo l’a promis, il n’a qu’une parole.

— Le Chamois, reprit le rusé métis, n’a qu’une parole aussi, et il a dit : « Le Chamois consent à sacrifier sa vie et celle de ses guerriers pour prendre les trois blancs vivants. »

– Le Chamois n’a qu’une parole, » reprit noblement l’Indien.

Sang-Mêlé parut réfléchir quelques minutes, quoique son plan fût tout fait d’avance. Il avait craint un instant de n’avoir pour alliés, en dépit des fanfaronnades du Chamois, que des hommes pusillanimes, et il s’applaudit au fond de l’âme du courage mâle et sans faste qu’il trouvait dans l’un des guerriers qui l’accompagnaient. La pensée que le sang indien dût seul couler pour satisfaire sa cupidité était loin aussi de lui déplaire.

« Mon esprit est maintenant sans nuage comme le ciel, mes yeux voient clairement les trois chasseurs entre les mains de leurs ennemis ; mais trois guerriers parmi mes frères ne les verront pas, car la mort s’arrêtera sur eux.