Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/170

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cèle, silence terrible, en ce qu’il permet à ceux que d’impitoyables ennemis vont attaquer de tout supposer et de tout craindre.

Cependant le soleil commençait à décliner vers l’occident ; un vent lourd et brûlant soufflait par bouffées inégales et dispersait sur l’azur du ciel de gros nuages blancs entassés à l’horizon. Ces traînées de vapeur se noircissaient en s’étendant, et, signes précurseurs d’un orage, les rameaux des sapins frémissaient quand le vent se taisait, et les vautours noirs, errants dans le désert, cherchaient l’abri des rochers.

« Vous faites-vous à peu près l’idée du nombre de ces Indiens, d’après les deux salves de hurlements qu’ils viennent de pousser ? demanda Bois-Rosé au chasseur espagnol.

– Non, et je me demande en outre avec inquiétude quel stratagème infernal ont pu leur souffler l’astuce de Sang-Mêlé et la férocité de Main-Rouge ; vous avez entendu leurs voix comme moi. Ils ont trouvé quelque chose, c’est certain ; ces hurlements de triomphe en sont la preuve.

– Nous avons pris toutes les précautions que des hommes braves et prudents peuvent imaginer, dit Fabian ; quand on a fait ce qu’on doit, il faut se résigner à tout.

– Résignons-nous donc, reprit Pepe ; mais, en attendant la soif me dévore. Vous qui êtes le plus près de la chute d’eau, don Fabian, voyez donc si, avec ma gourde mise au bout de ma baguette de fusil, vous pouvez, sans danger pour vous, y faire tomber quelques gouttes d’eau.

– Donnez, répliqua Fabian, c’est facile, et je serai bien aise d’étancher aussi la soif qui me consume. »

Fabian s’approcha de la chute d’eau en rampant, et allongeant le bras il remplit la gourde, qui fit le tour entre eux trois, après quoi, un instant soulagés, les