Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/172

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surveille attentivement toute la ligne des buissons, et pas un œil ne se montrera dans l’interstice des feuilles sans que je le voie aussitôt. »

Une troisième peau de bison ne tarda pas à être ajoutée aux deux premières ; puis, empilées les unes sur les autres, le poil tantôt en dedans tantôt en dehors, les chasseurs purent compter encore cinq autres peaux supperposées. Désormais ces manteaux formaient avec leur longue fourrure un rempart aussi impénétrable qu’un mur de six pieds d’épaisseur.

« C’est l’œuvre de ce coquin de métis, sans doute, murmura Pepe ; nous n’aurons pas trop de tous nos yeux pour ne rien perdre de ce qui peut se passer derrière cet amas de peaux. Tenez, un homme pourrait presque s’y tenir debout à présent, et un homme debout nous dominerait à peu près.

– Ah ! dit le Canadien, j’aperçois là-bas, à main gauche, les buissons qui remuent, quoique si imperceptiblement, que l’Indien qui les agite doit penser que nous prenons la main d’un homme pour le vent. »

L’endroit que désignait Bois-Rosé était à l’extrémité des rochers opposée à celle où s’élevait le rempart de peaux de buffles. Une saillie de roc protégeait une ouverture par laquelle un homme pouvait s’avancer et jeter un regard au-dessous de lui, presque sans danger.

« Bah ! dit Pepe, laissez ce drôle, et défiez-vous plutôt du métis et de son abominable père.

– Non, vous dis-je ; c’est le ciel qui nous livre l’instigateur de cet infernal guet-apens, reprit Bois-Rosé avec un accent de fureur concentrée. Le voyez-vous ? »

À l’abri derrière la saillie du roc, presque invisible à travers une franche épaisse de verdure, un homme, dont l’œil perçant du Canadien devinait plutôt qu’il ne voyait la position, était accroupi sur le rocher, immobile et n’osant encore écarter tout à fait le rideau de feuillage.