Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/174

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majestueux silence succéda à la voix de l’orage qui allait bientôt éclater.

« Une terrible nuit se prépare, dit Bois-Rosé, pendant laquelle nous aurons à lutter contre les hommes et contre les éléments déchaînés. Fabian, glissez-vous en rampant jusqu’au bord opposé de la plate-forme, et voyez si notre poudre est bien à l’abri, vu le cas où l’orage viendrait à éclater avant la nuit. En même temps, jetez un coup d’œil sur la plaine au-dessous de vous, et assurez-vous si les quatre coquins qui sont là-bas n’ont pas quitté leur tanière. »

Pendant que le jeune homme s’éloignait silencieusement pour obéir aux ordres du Canadien, celui-ci poussa un soupir et dit à l’Espagnol :

« Mon âme est sombre comme ces nuages qui portent la pluie et le tonnerre. Je sens mon cœur faible comme celui d’une femme ; de noirs pressentiments, dont je ne voudrais pas trahir la pensée à cet enfant qui est à mes côtés, ont abattu ce courage dont j’avais été si fier jusqu’à ce jour. Pepe, n’avez-vous rien à dire pour consoler votre vieux compagnon de périls ?

– Rien, mon pauvre Bois-Rosé, répondit le carabinier, sinon que si, ce dont Dieu me préserve, une balle de ces démons venait à vous…

– Je ne parle pas de moi, interrompit le coureur des bois ; si je fais cas de la vie maintenant, c’est un peu pour vous et surtout pour Fabian. Ne vous offensez pas de ma franchise ; car j’ajoute qu’entre vous deux il me semble que j’arriverais au déclin de mes jours comme sur l’un de ces beaux et larges fleuves aux rives sauvages et fleuries, dont nous avons si souvent suivi le cours ensemble dans notre canot d’écorce, allumant ici le feu de notre bivouac de nuit à l’ombre des sumacs et des magnoliers, nous arrêtant plus loin pour trapper les castors ou pour chasser les daims qui venaient à l’abreuvoir. J’ai peur d’autre chose que de perdre la vie.