Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/176

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Cependant, malgré l’assertion du Canadien, l’attaque semblait devoir se différer encore. Depuis quelque temps, un nuage de fumée avait commencé à s’élever en spirales épaisses derrière la chaîne de rochers.

Les chasseurs eurent d’abord quelque peine à s’expliquer pour quel motif les assiégeants allumaient du feu ; mais, affamés comme ils l’étaient, ils le devinèrent bientôt. La brise apportait jusqu’à eux un parfum auquel leur odorat ne put se méprendre.

« Voyez-vous, les chiens ! dit Pepe ; ils auront apporté avec eux quelque quartier de venaison, et les voilà occupés à le faire rôtir, tandis que des chrétiens comme nous en sont réduits à se contenter du fumet du rôt pour tout repas. Ceci veut dire qu’ils sont résolus à nous bloquer ici, et à faire par la famine ce qu’ils n’espèrent pouvoir faire par la force. Ah ! caramba ! j’avais meilleure opinion du métis et de la brute qu’il appelle son père, et qui, tout brigands qu’ils sont, ne manquent pas de courage, tant s’en faut. »

Peu à peu la fumée cessa de monter au-dessus des rochers, et des hurlements si sauvages, qu’il fallait avoir des nerfs vigoureusement trempés pour n’en pas frissonner, s’élevèrent tout à coup et se mêlèrent aux éclats de la foudre qui se rapprochait insensiblement. On eût dit des actions de grâces d’un chœur de démons après un repas de sabbat.

Les trois chasseurs supportèrent cependant sans frémir cette affreuse harmonie. Ils redoutaient moins encore une attaque qu’un blocus.

« Répondrons-nous ? demanda Pepe.

– Non, dit le Canadien, nos carabines répondront cette fois pour nous. Mais scrutez d’un œil attentif chaque tige de buisson, chaque brin d’herbe, comme si nous avions devant nous toute une couvée de serpents à sonnettes. Ces reptiles veulent en finir avec nous avant que la nuit tombe et que l’orage éclate.