Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/18

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Mais ni l’un ni l’autre ne bougèrent, par la raison toute simple qu’Oroche, pas plus que son ami, ne se souciait d’ouvrir la voie du val d’Or aux vautours rapaces qu’ils avaient laissés au camp.

Ils pensaient avec raison que les trois chasseurs, dussent-ils emporter chacun son poids en or, en laisseraient toujours plus à celui des deux qui survivrait à l’autre que si toute la troupe des aventuriers, guidée par eux, venait fondre sur cette riche proie.

Tous deux se représentèrent en frémissant ce val d’Or, encore vierge, aux lueurs éblouissantes, envahi, profané par leurs avides compagnons, ne gardant sur sa surface souillée que la trace impure de leur passage. Comme les chacals affamés qui guettent la retraite du lion repu pour dévorer les débris qu’il a dédaignés, Oroche et Baraja, sans l’avouer, voulaient chacun être seul à profiter du départ des chasseurs dont ils fuyaient tous deux la présence.

« Écoutez, dit Baraja, je vais être franc avec vous.

– Quel mensonge va me conter ce drôle ? se dit Oroche tout bas. Je n’attendais pas moins de votre loyauté, reprit-il tout haut.

– Vous craignez qu’en retournant au camp avec moi nous ne soyons découverts dans notre fuite.

– Vous êtes d’une pénétration qui m’étonne, répliqua Oroche.

– C’est tout naturel, continua Baraja d’un ton de bonhomie charmante ; deux hommes attirent plus l’attention qu’un seul.

– On ne lit pas plus clairement dans la pensée d’un homme, répondit à son tour Oroche avec tant d’abandon que Baraja en fut un instant effrayé.

– Eh bien, puisque vous partagez si parfaitement mes idées, vous partagerez aussi mon avis, fit Baraja.

– Je le goûte déjà sans le connaître ; je n’ai jamais confiance à demi dans mes amis.