Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/19

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– Est-ce à dire que vous vous en défiez toujours complètement.

– Oh ! seigneur Baraja ! s’écria Oroche en se drapant d’un air de candeur offensée dans le haillon qu’il appelait un manteau, je pèche constamment par l’excès contraire.

– Je pense donc que, pour gagner le camp avec moins de danger d’être aperçus par les chasseurs qui visent toujours à la tête, il est prudent de prendre chacun un chemin différent.

– Vous parlez d’or, seigneur Baraja.

– C’est l’influence du terroir, et je m’empresse de vous donner l’exemple.

– Un instant, dit Oroche, et où nous rejoindrons-nous ensuite ?

– À la fourche de la rivière. Le premier arrivé attendra l’autre.

– Et l’attendra-t-il longtemps ? demanda Oroche avec une naïveté parfaitement jouée.

– Cela dépendra de l’impatience du premier arrivé et du degré d’affection qu’il aura pour son ami.

– Diable ! reprit Oroche, ce serait alors, au cas où j’arriverais le premier, et où par malheur une chute dans un précipice ou une balle vous empêcherait de me rejoindre, me condamner à attendre jusqu’au jugement dernier.

– Cet excès de dévouement de votre part n’a rien qui m’étonne, répondit Baraja d’un ton pénétré ; mais je ne saurais l’accepter. L’amitié même doit avoir ses limites. Si cela vous convient, nous fixerons une heure d’attente, après quoi…

– Le premier arrivé regagnera le camp en pleurant son ami. »

Là-dessus les deux drôles prirent en sens oblique un chemin à angle divergent, marchèrent quelque temps à la vue l’un de l’autre, et ne tardèrent pas à disparaître