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vieux coureur des bois s’émut, comme à la vue du corps inanimé d’un ami bien cher. C’était pour le Canadien non-seulement sa force et sa vie, mais la vie et la force de son enfant, qu’on venait de lui ravir.

Le rude guerrier des Prairies sentit ses yeux humides, comme l’Arabe qui pleure son coursier. Une larme roula de ses yeux sur sa joue.

« Vous n’êtes que deux désormais sur ce rocher ; le vieux Bois-Rosé ne compte plus, dit-il en faisant un effort pour cacher sa faiblesse ; je ne suis plus qu’un enfant à la merci de ses ennemis. Fabian, mon fils, vous n’avez plus de père pour vous défendre… »

Puis il garda un morne et sombre silence, comme un Indien vaincu.

Ses deux compagnons l’imitèrent : l’un et l’autre sentaient l’étendue du malheur qui venait de les frapper tous trois. Tenter de reconquérir une arme que le choc des balles pouvait avoir faussée était une témérité inutile : c’était s’exposer à être en un clin d’œil entourés d’ennemis dont les chasseurs ignoraient le nombre ; c’était se livrer vivants aux Indiens, tandis que, sur le sommet de la pyramide du moins, le salut, c’est-à-dire une mort préférable à la captivité, était encore pour eux au fond du gouffre voisin.

« Je vous comprends, Bois-Rosé, s’écria Pepe en surprenant les yeux du Canadien fixés sur la nappe d’eau qui brillait un instant pour disparaître dans l’abîme ; mais corbleu ! nous n’en sommes pas encore là ; vous êtes plus habile tireur que moi, et ma carabine sera mieux placée dans vos mains que dans les miennes. »

En disant ces mots, Pepe faisait glisser son arme sur le sol jusqu’au Canadien.

« Tant qu’il restera entre nous trois un fusil, ce sera pour vous Bois-Rosé, ajouta Fabian. Je pense comme Pepe ; à quelles mains plus nobles et plus fidèles pourrions-nous jamais confier notre dernière ressource ?