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tre hors d’état de leur nuire, sur onze guerriers qu’il avait amenés, six avaient succombé. Soupir-du-Vent allait être le septième, et le métis voulait du moins que ce fût le dernier et que sa mort lui profitât. Or, Sang-Mêlé, loin de soupçonner qu’un seul des assiégés était resté sur le sommet de la colline, croyait bien qu’aucun des chasseurs n’avait commis l’imprudence d’exposer ses membres au feu de l’ennemi.

En effet, dans ces guerres de frontières, où il faut se glisser comme un tigre, ramper comme un serpent, ne pas découvrir son corps, quelque séduisante que soit la tentative d’un beau coup, et envoyer la mort sans qu’on voie même le fusil qui la vomit, la prudence est le plus simple élément de la stratégie des déserts.

Soupir-du-Vent étonné d’être arrivé déjà depuis quelques instants sain et sauf à l’endroit où les deux guerriers qui l’avaient précédé avaient trouvé la mort, s’était arrêté comme il en avait reçu l’ordre.

Quoique le jour fût assombri par les nuages épais qui couvraient le ciel, les yeux toujours vigilants de l’Indien distinguaient parfaitement jusqu’aux moindres fentes des rochers, et il lui était facile de voir que, comme les deux fois précédentes, le canon d’une carabine ne suivait pas ses plus légers mouvements. La raison en était simple : c’est que Fabian, occupé ailleurs, ne soupçonnait pas la présence de Soupir-du-Vent, tandis que celui-ci attribuait ce silence et cette inaction en face de l’ennemi à quelque ruse qu’il ne comprenait pas. Il ne s’en attendait pas moins à être frappé à chaque instant par une arme invisible.

Ce fut donc pour le guerrier rouge un long et terrible moment, et il eut le temps de porter toutes ses pensées d’amour et de regret sur les deux êtres qu’il allait laisser sans ressources dans sa hutte : sa jeune femme et l’enfant qui comptait à peine trois soleils.

Pendant que le silence régnait au sommet de la pyra-