Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/204

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tomber un à un les rayons de sa divinité. Le cœur de la vierge qui ignore ne brille-t-il pas de tout l’éclat d’un rayon divin, et n’a-t-il pas la pureté de l’azur du ciel et la blancheur de la neige des montagnes ?

Rosarita interrogea son cœur dans le silence et la méditation ; des voix jusqu’alors inconnues lui firent entendre les chastes et douces mélodies de l’amour naissant ; puis elles se turent, et il se fit dans l’âme de la jeune fille un vide immense : car celui que nommaient ces voix n’était plus là. Où était-il ? Les jours s’écoulèrent sans qu’on pût le lui dire.

Cependant le sénateur avait investi avec assez d’adresse, il faut le reconnaître, la place qu’il cherchait à faire capituler. Grâce au large crédit que lui avait ouvert don Estévan sur la caisse de l’hacendero, et qu’il ne ménageait pas plus que s’il n’eût jamais dû s’épuiser, il avait réussi à procurer à Rosarita quelques distractions et à adoucir en quelque sorte le chagrin auquel elle était en proie.

Les cadeaux, les surprises pleines d’une galanterie empressée, témoignages d’un cœur bien épris, exercent toujours sur les femmes un certain charme qui chatouille leur amour-propre et finit souvent, sinon par ouvrir le chemin de leur cœur, du moins par les prévenir en faveur de celui qui leur rend des soins. Le sénateur avait en outre dans son mérite personnel une confiance imperturbable, et chantait sans cesse ses propres louanges, pendant que Rosarita, à force de les entendre, finirait par en croire quelque chose. En faisant son panégyrique, il avait soin d’attribuer à son amour pour doña Rosario les qualités éminentes qu’il se donnait si complaisamment.

Tels étaient les moyens que Tragaduros employait pour faire oublier son rival absent et prendre la place qu’il occupait dans le cœur de Rosarita.

L’absence a ses dangers, et il sont nombreux, mais