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Les mules chargées de matelas, de bagages et de cantines, ainsi que les chevaux de relais, avaient pris les devants. Deux domestiques, restés seuls pour le service personnel des maîtres, n’attendaient plus qu’eux pour partir.

Le soleil dardait à peine ses premiers rayons, quand l’hacendero, le sénateur et doña Rosario parurent sur le perron de la cour, en costume de cheval.

La jeune fille n’avait plus ces fraîches couleurs qui le disputaient naguère à l’éclat de la grenade entr’ouverte ; mais la pâleur de son visage, où se reflétait la mélancolie de son âme, donnait à tous ses traits un air de molle langueur qui ne déparait en rien sa beauté.

La cavalcade se mit en route. En passant près de la brèche du mur d’enceinte qu’avait escaladé, pour cesser d’être l’hôte de son père, celui que Rosarita nommait toujours Tiburcio Arellanos, elle ramena son voile sur sa figure pour cacher une larme que ses yeux laissaient échapper. Bien souvent la nuit l’avait surprise rêvant dans ce même endroit ; en quittant l’hacienda, il lui semblait qu’elle disait adieu pour jamais au plus cher comme au plus douloureux de ses souvenirs. N’était-ce pas là qu’un soir, sans qu’elle s’en doutât, elle avait senti tout à coup l’amour circuler dans ses veines ? N’était-ce pas de ce souvenir que datait, pour ainsi dire, sa vie ? Plus loin, rien ne devait lui rappeler Tiburcio.

Ce fut donc sans savoir le danger qu’avait couru dans ce bois, dans le Salto-de-Agua, celui qui faisait couler ses pleurs, qu’elle traversa l’épaisse forêt et le pont grossier du torrent.

Malgré les efforts du sénateur pour la distraire, la première journée du voyage fut triste et se termina de même.

Une lieue ou deux avant d’arriver à la couchée désignée pour la cavalcade, l’ombre s’était épaissie, et les voyageurs gardaient le silence, car l’approche de la nuit dans le désert est imposante et fais toujours rêver. Deux cavaliers se croisèrent alors avec eux.