Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/219

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– Ah ! vous concevez ça, vous ? Eh bien, moi, je fus une seconde sans y rien comprendre ; je croyais faire un mauvais rêve. Cependant je démuselai à tout hasard mes deux dogues, qui hurlaient de fureur ; mais je les maintins en laisse, et, quand cela fut fait, je levai les yeux devant moi. À l’exception des chevaux qui galopaient éperdus dans la plaine à travers les cotonniers, il n’y avait plus personne sur le grand chemin, plus de trace de ceux qui étaient tombés de cheval ; j’en conclus que les Indiens cachés dans les fourrés les y avaient entraînés tout aussitôt.

– Était-ce vrai ?

– Je ne les ai plus revus. Quant à moi, je restai immobile, incertain si je devais avancer ou reculer, sentant que j’étais entouré d’ennemis invisibles qui pouvaient être partout à la fois. Mais mon incertitude ne fut pas de longue durée. Sept ou huit Indiens sortirent des fourrés qui bordaient la route et vinrent au galop de mon côté. Eh bien, vous qui concevez si facilement, vous ne le concevez peut-être pas, mais j’éprouvais une angoisse si poignante au milieu du silence de mort qui régnait dans la plaine, que je fus presque heureux de pouvoir enfin compter mes ennemis.

– Je crois cependant que j’aurais mieux aimé n’avoir rien à compter, dit le novice en hésitant.

– Je lâchai mes deux dogues, qui bondirent comme des lions vers les Indiens, et, ma foi, je résolus de les imiter. Dans ce moment-là cela me sembla plus facile que de fuir.

« Je dégainai au plus vite, et, pendant qu’Oso et Tigre attaquaient l’ennemi avec fureur, j’enfonçai mes éperons dans les flancs de mon cheval, que je contins fortement de la bride pour être bien sûr qu’il ne reculerait pas, car les Indiens sont horribles à voir ; je lui assénai en outre deux ou trois coups de ma cravache plombée sur la tête. Hennissant sous les pointes aiguës qui