Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/220

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tourmentaient ses flancs, furieux des coups qu’il ressentait, l’animal, dont je lâchai la bride, s’élança comme un fou, au risque de nous écraser tous deux contre les Indiens.

« Je ne sais pas trop ce qui se passa ; tout ce que je puis vous dire, c’est qu’il y avait sur mes yeux comme un nuage rouge, à travers lequel je vis des figures féroces et hideuses près de la mienne ; que j’aperçus confusément Tigre, qui venait d’étrangler deux Indiens, cloué d’un coup de lance sur le corps d’un des cadavres, que je vis, comme à travers un brouillard, Oso, la gueule sanglante, terrasser un autre Peau-Rouge, et qu’au bout de quelques minutes je me trouvai dégagé.

– Demonio ! s’écria le novice ébahi, vous les aviez donc tous tués, maître Encinas ?

– Caramba ! on voit que ça ne vous coûte rien, reprit le chasseur de bisons en souriant. Non, en vérité. Mes deux dogues avaient fait plus de besogne que moi, et la vérité est que j’aurais terminé mes campagnes ce jour-là, si, pendant que j’étais aux prises avec les Indiens, il ne s’était pas passé un peu plus loin d’autres choses que je ne pus voir qu’au moment où je restai seul.

« Je jetai alors un regard autour de moi, et je vis clairement cette fois-ci les deux Apaches étendus par terre à côté de mon pauvre Tigre ; un troisième se débattait encore, le cou dans la gueule d’Oso. Vous sentez bien, mon garçon, que je ne perdis pas mon temps à le questionner sur l’état de sa santé ; j’avais bien autre chose à faire vraiment.

« À dix pas de moi une lutte terrible avait lieu ; un nuage de poussière s’élevait au-dessus d’une pyramide de chevaux éventrés, de corps humains entrelacés. Au milieu de ce carnage, je distinguais des panaches ondoyants, des lances étincelantes, des figures barbouillées d’ocre, de vermillon et de sang, des yeux qui flam-