Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/262

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dissant jetait au vent ses hennissements de fureur plaintive, tandis que sa crinière éparse flottait sur son cou.

« Par là ! par là ! » s’écria Encinas en se précipitant vers l’endroit au-dessus duquel le Coursier-Blanc s’apprêtait à s’élancer.

Mais il était déjà trop tard. Le cercle qui s’était ouvert autour de lui lui permit de ramasser son corps sur ses jarrets ; les chasseurs virent une ligne blanche fendre l’air comme une flèche ; le cheval tomba au delà de l’enceinte sur ses jambes flexibles et vibrantes, puis il disparut sous la voûte des arbres.

Un cri de rage des chasseurs et des vaqueros se fit entendre ; mais il restait encore plus de deux cents chevaux dans l’estacade, et c’était assez pour dédommager de la perte du plus beau d’entre eux.

« Eh bien, doutez-vous maintenant que ce cheval ne soit le diable ? » cria Encinas.

Personne ne répondit ; tous en étaient convaincus.

Le vide qui s’était fait dans le corral se combla bientôt, et les chevaux captifs, se heurtant les uns les autres, formèrent un flot roulant de tous côtés. Un instant ce flot se précipita contre l’enceinte ; mais les robustes pieux qui la composaient gémirent et craquèrent sans céder. Des tourbillons de vapeur s’élevaient au-dessus de tous ces corps haletants.

Parmi les captifs, les uns mordaient avec fureur les palissades, d’autres creusaient la terre de leurs sabots, et quelques-uns enfin, succombant sous la pression d’une rage impuissante, tombaient comme foudroyés sur le sol, d’où ils ne se relevaient plus. Puis, comme une mer de lave bouillante se refroidit peu à peu, ainsi la troupe de chevaux cessa de se ruer sur la palissade, l’abattement succéda à la furie, et les éléments fougueux firent place à une morne immobilité.

Les farouches habitants des bois étaient vaincus.