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sans s’exposer à rouler au fond du gouffre ; du reste, dans aucun cas, les deux chercheurs d’or ne voulaient révéler leur présence à Cuchillo.

« Ne faites pas un pas de plus, seigneur Oroche, dit Baraja de manière à se faire entendre de son ami seul au milieu du fracas de la cascade ; songez que j’attache un prix énorme à votre précieuse existence.

– Aussi me garderai-je de l’exposer ; vous trouvez ces solitudes si effrayantes, que je tiens à vous conserver un compagnon.

– C’est un procédé dont j’apprécie toute la générosité. Quant à moi, vous ne doutez plus, j’espère, de ma sincérité. Voyez, en heurtant seulement un peu rudement du poitrail de mon cheval la croupe du vôtre, je me trouvais parfaitement seul. »

Baraja disait vrai, et Oroche, pour la première fois, regardant l’abîme dans lequel son ami pouvait le pousser sans risque pour lui, sentit un frisson glacial parcourir tout son corps.

« Mais, continua Baraja, nous ne sommes pas trop de deux pour lutter avec avantage contre nos trois ennemis.

– L’union fait la force, » dit avec emphase le gambusino aux longs cheveux, qui, malgré cet aphorisme, désirait vivement ne pas trop prolonger chez son ami les tentations d’en oublier la pratique.

Au bout de quelques instants, pendant lesquels la vue du gouffre et le bruit assourdissant de la cascade lui donnaient le vertige, une bouffée de vent ouvrit de nouveau une large trouée dans le brouillard.

« Ah ! grâce à Dieu ! s’écria Oroche en respirant après ce moment d’angoisse, ce coquin de Cuchillo a disparu. »

Le chemin était débarrassé d’obstacles de son côté, et la solitude des montagnes était redevenue complète.

Oroche poussa rapidement son cheval à l’endroit que venait d’abandonner Cuchillo.

L’étrange paysage au milieu duquel les deux fugitifs