Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/293

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lieu d’une seule branche, il en existait deux, dont le confluent causait, sur un espace de plusieurs lieues, le remous que les trois amis venaient d’observer.

C’est à ce confluent que la petite troupe fit halte. Une nouvelle incertitude se présenta. Quelle direction avait suivie le canot ? Était-ce le bras de la rivière qui coulait à l’est ? Était-ce celui qui coulait à l’ouest ?

Les trois voyageurs tinrent conseil sans rien résoudre. Ils cherchèrent partout avec ardeur une trace qui pût les guider. La surface grise et sombre des eaux, les roseaux murmurant sur les rives, ne purent leur donner le plus vague indice. Puis la nuit tomba, lugubre et noire, et, sous un dais de brouillards opaques, l’étoile même du Nord ne brillait pas au ciel, dont la voûte semblait de plomb. Il fallait se résoudre à remettre à la clarté du jour la continuation des recherches, et à camper là jusqu’à l’aurore pour ne pas risquer de faire fausse route. La fatigue était encore un obstacle à la marche, et, sans qu’aucun des voyageurs l’avouât aux autres, la faim commençait, non pas à gronder, mais à rugir dans leurs entrailles.

Tous trois se couchèrent silencieusement sur l’herbe.

Mais leurs paupières fermées sollicitèrent en vain le sommeil.

Dans le combat perpétuel qui se livre dans le corps humain entre la destruction et la vie, il est une phase terrible où le sommeil s’enfuit aux cris de la faim, comme le daim s’effarouche et bondit au loin à la voix du tigre. La vie, alors, fait un dernier et suprême effort, et le sommeil rappelé finit par verser sur le corps épuisé un baume réparateur ; mais l’effet n’en est que passager : bientôt la destruction, revenant à la charge, marche à pas rapides, et la frêle machine humaine ne tarde pas à succomber sous les atteintes de l’ennemi intérieur qui la ronge.

Les trois voyageurs n’en étaient pas encore à cette