Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/294

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période de la lutte intestine où le sommeil, suivi de l’assoupissement, n’est plus que le précurseur de l’agonie.

Ce ne fut qu’après s’être bien des fois retournés sur leur couche de gazon qu’ils purent fermer les yeux pendant quelques heures, et encore le silence des Montagnes-Brumeuses fut-il troublé à diverses reprises par des cris d’angoisse arrachés aux rêves des dormeurs.

La nuit était encore profonde autour d’eux, quand Bois-Rosé se leva silencieusement. En dépit des atteintes de la faim, le géant canadien sentait que ses forces n’avaient pas encore diminué et que les heures étaient précieuses. Il jeta un regard de tristesse sur le morne paysage qui l’entourait, sur ces montagnes désolées, dont les dentelures semblaient n’abriter aucun être animé, sur la rivière qui roulait silencieusement ses eaux noirâtres ; puis, bien convaincu que la famine était le seul hôte de ces déserts, il éveilla le chasseur espagnol.

« Ah ! c’est vous, Bois-Rosé, dit Pepe en ouvrant les yeux : avez-vous quelque aliment à me donner, en compensation du rêve que vous m’enlevez ? Je rêvais…

– Quand on a devant soi une tâche comme celle qui nous reste à faire, les heures sont trop précieuses pour dormir, interrompit Bois-Rosé d’un ton solennel. Nous n’avons pas le droit de troubler le sommeil de cet homme, ajouta-t-il en montrant Gayferos, il n’a pas de fils à sauver ; mais nous, nous devons marcher la nuit comme le jour.

– C’est vrai ; mais où marcher ?

– Chacun de notre côté, vous le long d’un bords de la rivière, moi de l’autre ; explorer, chercher partout des traces, puis nous réunir ici au point du jour, voilà ce qu’il faut faire.

– Quelle désolation règne autour de nous ! » dit Pepe à voix basse en frissonnant sous la première atteinte du découragement qui se glissait dans son âme.