Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’au lieu d’avoir été faites avant la pluie, elles se sont empreintes sur le sol qu’elle avait détrempé. Voyez ces vestiges durcis par le soleil, ne sont-ce pas ceux des pieds de Main-Rouge et de Sang-Mêlé et de ses Indiens ?

— Parbleu, ce brigand de l’Illinois a des pieds de buffle, qu’il est facile de reconnaître entre cent ; mais je ne vois pas l’empreinte des pieds de ce pauvre Fabian.

– Je n’en bénis pas moins le ciel de nous avoir conduits jusqu’ici. Nous n’avons vu nulle part ni le poteau du supplice ni les traces d’un meurtre. Croyez-vous que, pendant qu’ils ont passé la nuit ici, les ravisseurs de Fabian se seront gênés pour le laisser garrotté dans leur canot ? Voilà pourquoi il ne reste aucun vestige du pauvre enfant.

— C’est vrai, Bois-Rosé ; je crois et je sens même que la faim me trouble le cerveau. Ah ! les coquins, les brigands ! s’écria tout à coup Pepe avec un élan de fureur qui fit tressaillir le Canadien. Voyez-vous, les démons ? continua Pepe ; ils ont mangé, ils ont rempli leur estomac de viande de daim ou de chevreuil, tandis que d’honnêtes chrétiens comme nous n’en ont pas même les os à ronger, à moins de vouloir se contenter du rebut de ces chiens ! »

Pepe, en prononçant ces imprécations, repoussait du pied, avec un mélange de dédain et d’envie, des os encore revêtus de muscles et de lambeaux de chair.

Le gambusino arrivait en ce moment, et, moins orgueilleux que l’Espagnol et le Canadien, il se jeta avidement sur ces débris.

« Il a raison, à tout prendre, dit le Canadien, et c’est peut-être un sot orgueil que le nôtre.

– C’est possible ; mais j’aimerais mieux mourir de faim que de devoir la vie aux rogatons de cette vermine. »

Rassurés sur la direction qu’ils suivaient, les deux chasseurs laissèrent Gayferos ronger ses os de chevreuil