Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/298

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avec un consciencieux enthousiasme, pour chercher parmi les herbes quelques racines comestibles, qu’ils trouvèrent en petite quantité, et à l’aide desquelles ils purent du moins tromper quelques instants leur faim inassouvie.

La petite troupe se remit en marche le long de la rivière. Des traces de bisons se montraient de tous les côtés ; des bandes de grues et d’oies sauvages commençaient à émigrer vers les lacs plus froids et traversaient le ciel ; des poissons s’élançaient hors des eaux et montraient un instant leurs écailles brillantes au soleil. Parfois aussi un élan ou un daim parcourait en bondissant son domaine désert ; en un mot, le ciel, la terre et l’eau semblaient n’étaler leur richesse aux yeux des voyageurs affamés que pour leur faire sentir plus vivement la perte de leurs armes à feu : c’était le supplice de Tantale à chaque instant renouvelé.

– N’allez donc pas si vite, de par tous les diables ! s’écria Pepe, qui déjà depuis quelques instants marchait derrière le Canadien en maugréant comme un païen. Laissez-moi réfléchir comment nous pourrions donner la chasse à ces magnifiques bisons que nous voyons là-bas.

– Allons d’abord arracher leurs armes aux ravisseurs de Fabian, répondit Bois-Rosé. Nous sommes dans de merveilleuses conditions pour combattre avec succès : la faim fera de nous, d’ici à quelques heures, des tigres irrités ; n’attendons pas le moment où elle nous réduirait à l’état de faiblesse d’agneaux qui bêlent loin de leur mère. »

C’est ainsi que l’ancien carabinier, non pas effrayé à l’idée d’attaquer, le poignard seul à la main, d’aussi redoutables ennemis que ceux qu’ils poursuivaient tous trois, mais tantôt succombant à une torpeur invincible que chaque heure de marche faisait croître, tantôt soutenu, aiguillonné par le Canadien, fournit encore sur ses