Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aller chercher un dernier refuge dans l’eau ; c’est pour Fabian, c’est pour notre vie à tous, qu’il ne faut pas le laisser s’échapper. »

Bois-Rosé n’avait pas attendu l’avertissement de Pepe pour s’apercevoir de la manœuvre du buffle fuyant. Désespéré de voir près de s’évanouir l’unique espoir de leur vie, le Canadien bondissait comme un limier vers la rive du fleuve, et quand il fut à peu près en ligne droite avec le bison, il se rabattit sur lui avec de grands cris ; l’animal prit alors une direction opposée, puis, trouvant encore devant lui le gambusino pour intercepter sa route, il reprit sa direction vers Pepe.

En chasseurs habiles, dont la faim augmentait l’intelligence, le Canadien et Gayferos continuèrent leur poursuite en redoublant leurs cris, tandis que Pepe, au contraire, restait immobile et silencieux, guettant son passage et se courbant sur le sol.

Il devint bientôt évident que le bison se sentait affaibli par la perte de son sang, qui coulait toujours d’une large blessure entre les deux épaules. Ses mouvements avaient perdu leur nerveuse élasticité, des flots d’écume sanglante s’échappaient de ses larges et noirs naseaux, et ses mugissements rauques et saccadés témoignaient sa fatigue. Un nuage paraissait étendu sur ses yeux ; car dans sa course il devait presque effleurer le corps de l’Espagnol en embuscade, et pourtant il ne dévia pas de la ligne droite.

Le carabinier saisit d’une main une des cornes du buffle, qui ne se détournait pas, et de l’autre il lui plongea deux fois son poignard jusqu’au manche dans le poitrail, au défaut de l’épaule. L’animal tomba sur les genoux et se releva bientôt ; mais il emportait l’Espagnol avec lui. Par une de ces manœuvres hardies que risquent parfois les toréadors de son pays, le carabinier s’était cramponné à son dos et se tenait à sa longue crinière.