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En disant ces mots avec toute sa bonne humeur enfin reconquise, l’Espagnol s’élançait avec une joie sauvage sur le bison, qu’entraînait le fil de l’eau.

Les efforts des trois chasseurs purent à peine haler l’énorme cadavre sur le bord de la rivière, où ils ne perdirent pas de temps à se mettre à le dépecer, tout en interrompant leur besogne pour se livrer aux élans d’une ivresse qui débordait.

« Des vivres pour toute une campagne, répéta Pepe pour la dixième fois, un repas de géant, et la sieste sous ces beaux arbres, acheva-t-il en montrant les ombrages de l’île en face d’eux.

– Un repas rapide comme celui d’un soldat en campagne, une heure de sommeil, puis en route sur les traces des Indiens, répondit gravement le Canadien.

– Je n’oubliais rien, Bois-Rosé ; seulement nous avons tant souffert de la faim ! »

Rappelés au sentiment de leur devoir et de leur affection, les trois chasseurs continuèrent plus silencieusement leur tâche, que des hurlements plaintifs vinrent interrompre.

« Tenez, dit Pepe en montrant sur le bord opposé de l’île deux loups à qui la faim arrachait ces aboiements, et qui considéraient le bison d’un œil de convoitise, voici deux pauvres diables qui demandent leur part du buffle, et, corbleu, ils l’auront comme nous. »

À ces mots, le carabinier saisit une des jambes de devant du bison et, la brandissant au-dessus de sa tête, il la lança, d’un bras vigoureux, presque au delà du fleuve. La proie des loups vint tomber à quelques pas d’eux, et les deux animaux affamés se précipitèrent à l’eau pour l’aller chercher.

« Voilà qui sera plus tard pour eux et leurs compagnons, dit Bois-Rosé quand il eut mis de côté les parties les plus succulentes de l’animal, c’est-à-dire la bosse, qui est le morceau le plus savoureux d’une viande elle-même