Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/307

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Pepe, dont les impressions étaient d’habitude assez tenaces ; et cependant ce gazon qui recouvre la terre ne semble pas indiquer qu’elle ait été fraîchement remuée. »

Une seule particularité néanmoins frappa l’Espagnol au milieu de son examen : c’était que dans l’espace que la griffe des loups avait dépouillé de gazon, il y avait une place où ce gazon paraissait avoir été tranché aussi nettement que par un instrument de jardinage.

La voix de Bois-Rosé, qui l’avertissait de venir les aider à l’endroit qu’il avait choisi pour faire halte, arracha Pepe à son investigation, mais non sans qu’il se fût promis de revenir la continuer quand sa faim dévorante serait satisfaite.

Quoique, dans la nuit fatale où Fabian leur avait été enlevé, l’orage eût gâté la poudre des deux chasseurs, elle était encore assez sèche pour leur permettre d’allumer facilement le feu destiné à cuire leurs aliments. Le bois sec était en abondance dans l’île, et bientôt les trois amis affamés purent repaître leur odorat du fumet délicieux qu’exhalait la bosse du bison, mise tout entière rôtir au-dessus des charbons.

Vingt fois le Canadien, plus maître de lui que ses deux compagnons, dut interposer son autorité pour les empêcher de se jeter sur la chair du buffle encore saignante. Enfin le moment vint où ils purent sans contrainte prendre leur repas si impatiemment attendu, et assouvir leur faim dévorante.

Un formidable bruit de mâchoires se fit seul entendre pendant quelque temps au milieu du silence de l’île.

« Ceux-là se régalent aussi là-bas, » dit le Canadien en montrant sur le bord de la rivière qu’ils venaient de quitter, deux autres convives non moins acharnés qu’eux-mêmes sur les débris sanglants du bison.

C’étaient les deux loups qui, après avoir traversé l’eau, attirés par l’odeur du buffle, le dépeçaient avec une ardeur au moins égale à celle des trois chasseurs.