Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/324

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haïr, et l’implacable carabinier, capable de haïr comme il savait aimer, se courbèrent avec plus d’ardeur encore sur leurs avirons.

Les eaux de la rivière se teignaient de noir, quand les bords se rétrécirent et formèrent à cent pas au delà de la barque un canal étroit, couronné par les cimes des arbres entrelacées. Un dernier rayon de pourpre du soleil couchant se jouait encore sur l’eau en laissant une longue traînée lumineuse, à travers le dôme de verdure, et se fondait avec l’ombre opaque qui couvrait la surface du fleuve.

Avant de s’engager dans cette passe sombre, Rayon-Brûlant fit un signe au guerrier assis près de lui et tous deux reprirent leurs avirons des mains des chasseurs, qui remplacèrent la rame par la carabine. Bientôt après, les deux Indiens firent entendre deux cris semblables à celui des hirondelles lorsqu’elles volent en rasant l’eau.

Peu d’instants s’étaient écoulés, lorsque le canot entrait sous la voûte épaisse des arbres. Le dernier rayon de soleil semblait s’être éteint dans la rivière, et à peine, au milieu de l’obscurité, pouvait-on, de l’arrière à l’avant de l’embarcation, distinguer un objet.

« Si les ténèbres ne produisaient parfois de ces illusions étranges, dit Bois-Rosé, je jurerais que je vois là-bas, à la fourche de ce frêne penché sur l’eau, comme une apparence de forme humaine. »

Le jeune Comanche arrêta le Canadien qui apprêtait déjà sa carabine.

« L’Aigle et le Moqueur sont ici en pays ami, dit-il ; des guerriers éclairent au loin la route devant eux. »

En disant ces mots, Rayon-Brûlant donna l’ordre à l’Indien de cesser de ramer un instant, et, d’un coup d’aviron en sens inverse, en sciant, comme disent les marins, il fit brusquement arriver la canot sur le tronc incliné du frêne que désignait le Canadien.

Au même moment, avant que Pepe ni Bois-Rosé eus-