Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/330

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Bois-Rosé au Comanche, quand on n’entendit plus que le tumulte lointain des bisons fuyants.

– La voix du Loup-des-Présages ne trompe jamais, répondit Rayon-Brûlant avec un air de conviction dont sourit le Canadien. Les rêves que le Grand-Esprit envoie au guerrier qui dort ne le trompent jamais non plus. L’Aigle des Montagnes-Neigeuses croit-il qu’à cette heure de la nuit les bisons, pour profiter de sa fraîcheur, abandonnent les hautes herbes et se mettent en voyage ?

– Ce n’est pas probable : Dieu envoie aux animaux comme à nous le sommeil pendant la nuit. Des bisons ne sont ni des loups ni des tigres qui rôdent dans les ténèbres et dorment le jour ; les Indiens sans doute ont donné la chasse à cette colonne d’animaux fuyants qui viennent de passer.

– Eh bien, les rêves sont pour mon esprit ce que sont pour mes oreilles les hurlements du Loup-des-Présages, ce qu’est pour mes yeux la fuite des buffles la nuit : un indice certain que le danger nous entoure.

– Si vous dites vrai, reprit Bois-Rosé, comme je le pense, car, bien que vous ayez à peine la moitié de mon âge, vous avez pour vous et l’expérience de vos pères, qu’on ne dédaigne pas plus dans les déserts que dans les grandes villes, et les premières impressions de votre enfance. Si donc vous croyez le danger prochain, je suis d’avis que nous reprenions notre navigation au plus vite.

– Le canot est prêt ; mais nous avons encore quelques précautions à prendre. Nous allumerons six feux à distance les uns des autres, derrière ces collines. Du bord opposé de la rivière où campe la troupe qui suit nos traces, et de celui-ci, où a fait halte l’Oiseau-Noir, les Apaches verront ces feux sans pouvoir distinguer s’il y a des guerriers qui veillent alentour, et, pendant qu’ils perdront un temps précieux à imaginer un moyen de s’avancer sans être vus, Rayon-Brûlant, l’Aigle, le Moqueur