Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/333

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moins que vous ne soyez trop fatigué de ramer, laissez-moi continuer mon somme.

– Nous ne pouvons passer outre sans sa permission. L’animal occupe un petit îlot au milieu de la rivière, qui, au delà du détour que vous voyez, devient fort étroite. Ce qu’a vu Rayon-Brûlant une seule fois, il ne l’oublie plus. Il connaît les moindres sinuosités de la Rivière-Rouge. »

Cependant le canot avançait toujours en tournoyant, et comme il était urgent de prendre un parti avant de s’engager dans la passe dangereuse que signalait le jeune Indien, Bois-Rosé prit les avirons et fit remonter le canot contre le courant.

Tout en le maintenant immobile, quand il eut gagné quelques toises : « Nous ne devons pas, dit-il, prodiguer les coups de fusil au milieu de ces solitudes qui peuvent recéler des ennemis tout près de nous ; ce serait leur donner l’éveil. Une seule détonation même suffirait pour cela. Eh bien ! Comanche, je suis d’avis que, laissant de côté tout amour-propre, nous prenions terre avec le canot sur nos épaules, pour n’avoir pas de querelles avec ce diable d’animal. Plus loin, nous reprendrons le cours de la rivière.

Les trois Indiens ont une hache affilée et des bras vigoureux ; les chasseurs blancs ont leurs couteaux pointus et tranchants, reprit Rayon-Brûlant.

— L’amour-propre d’un jeune homme ne s’accommode pas de la fuite, je le sais. Préférez-vous risquer de faire chavirer notre canot, ce qui ne serait pas grand’chose, après tout, mais de le faire crever comme une gourde sèche, ce qui serait irréparable ? Écoutez, Rayon-Brûlant ; faites pour l’amour d’un père à la recherche de son fils, dont les moments sont comptés, le sacrifice de votre gloriole de jeune homme ; c’est un vieillard dont les cheveux sont gris, dont le cœur est plein de tristesse, qui vous en prie.