Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/334

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– La Fleur-du-Lac, dit l’Indien, incapable de cacher les impressions de son jeune cœur, eût frémi en voyant la dépouille du monstrueux animal, et elle eût souri au guerrier qui la lui eût apportée ; le cœur de Rayon-Brûlant se serait réjoui.

– Oui, mon enfant, il est doux d’obtenir un sourire de celle qu’on aime ; c’est doux pour un Indien comme pour un blanc ; mais il est doux aussi d’obliger un vieillard qui pleure son fils. Le Grand-Esprit bénira vos chasses. »

Le Comanche ne répliqua plus. On éveilla Pepe et Gayferos pour leur apprendre qu’un ours gris des prairies gardait une passe étroite qu’on ne pourrait franchir sans avoir maille à partir avec lui, et qu’il fallait, en emportant le canot, faire un détour par terre et éviter ainsi le bruit dangereux d’un combat contre le redoutable gardien de l’îlot.

La nouvelle qu’un ours gris barrait le passage de la rivière mit Pepe de très-mauvaise humeur.

« Le diable torde le cou à cette vermine ! dit-il en bâillant, et en flétrissant par rancune, d’un terme de mépris que les chasseurs n’appliquent qu’à des animaux d’un ordre inférieur, le plus terrible des habitants des Prairies ; je dormais si tranquillement ! »

Cependant, après avoir fait aborder le canot au rivage, le Canadien, toujours prudent, résolut, avant de laisser débarquer toute la troupe, de jeter un coup d’œil dans la plaine. Il escalada doucement la berge qui encaissait la rivière. De hautes herbes en couronnaient le sommet et opposaient à la vue un rempart infranchissable.

Le Canadien s’avança donc en se coulant à travers leurs tiges, la carabine à la main, et disparut pour quelques minutes aux yeux de ses compagnons.

Ceux-ci se tenaient sur leurs gardes ; car il ne suffisait pas de chercher à éviter le féroce animal pour être