Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/335

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à l’abri d’une attaque de sa part. Il était évident que l’ours flairait les émanations humaines, et qu’il ne se sentait plus seul dans son domaine désert. Comme ces redoutables châtelains qui, du haut de leur rocher ou de leur tour, dominaient jadis le cours d’un fleuve, il était à craindre que l’animal riverain n’essayât de prélever le tribut d’un chasseur ou d’un Indien, s’il avait déjà goûté dans sa vie de la chair de l’un ou de l’autre.

Aux ronflements précipités de ses naseaux se mêlait de temps à autre le grincement de ses formidables dents et de ses ongles qui grattaient le roc de l’îlot.

En ce moment le Canadien revint en toute hâte.

« Au large ! au large ! dit-il à voix basse dès qu’il eut rejoint la petite troupe. Il y a là une douzaine d’Indiens à cheval qui battent la Prairie.

– Les Loups-du-Présage ne trompent jamais, répondit l’Indien. Dans quelle direction les chiens apaches parcourent-ils la plaine ?

– À droite et à gauche ; mais ils semblent venir du côté où nous avons laissé nos feux allumés. Allons, Rayon-Brûlant, c’est à présent et sans hésiter qu’il faut avoir recours aux haches indiennes et aux couteaux des blancs contre l’ours gris. Quoi qu’il en puisse arriver, nous ne saurions rester ici sans danger une minute de plus. Un de ces cavaliers peut d’un moment à l’autre s’avancer vers la rivière. »

Le canot fut de nouveau poussé au milieu du courant, dans la direction de l’îlot, malgré le grondement effrayant qui s’y faisait entendre.

Dans toute autre circonstance, en dépit de la force et de la férocité de l’animal qui, au dire de l’Indien, devait s’être installé sur la petite île et dominer le passage étroit qu’elle formait sur chaque rive du fleuve, les navigateurs ne se fussent que médiocrement inquiétés de cette rencontre.

À l’exception de Gayferos, tous avaient passé leur vie