Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/336

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dans les déserts et ils étaient accoutumés à en braver les dangers : lui, cependant, ne paraissait pas plus effrayé que ses compagnons : c’est qu’il ignorait à quel ennemi ils avaient affaire. Les deux chasseurs et les Indiens le savaient et appréciaient tout ce que le voisinage des Apaches ajoutait de péril à un combat déjà si dangereux par lui-même.

Les armes blanches, au cas où l’animal ne serait pas d’humeur à les laisser passer tranquillement, étaient les seules qu’ils pussent employer pour ne pas révéler leur présence. L’épaisse fourrure, d’ailleurs, dont l’ours gris est revêtu, rendait la lutte bien incertaine. Ses hurlements, s’il était blessé, pouvaient attirer les Indiens, avides de le chasser ; le canot risquait d’être crevé par la moindre atteinte de ses griffes tranchantes ; le voir couler bas était presque inévitable.

Bois-Rosé, pour plus de sûreté, et afin d’empêcher le Comanche de commettre quelque acte d’agression, pria Rayon-Brûlant de prendre en main l’un des avirons, et lui-même s’empara du second ; puis, au risque de ce qui pouvait lui en advenir, il poussa le canot contre la rive droite, de façon à attaquer la passe de ce côté, et à se trouver le plus rapproché du féroce animal.

Le canot, en suivant le cours assez rapide de la rivière, eut bientôt regagné la distance que Bois-Rosé lui avait fait perdre en remontant. Ce fut un moment imposant et terrible que celui où il vint à tourner le coude que décrivait le fleuve.

La hache à la main à l’avant de l’embarcation, les trois Indiens se tenaient prêts à en frapper le colosse d’un triple coup, et armés chacun de leur couteau, Pepe et le gambusino restaient à l’arrière. La petite barque glissa silencieusement, et des ronflements sonores continuaient à sortir du fond de la rivière, comme si quelque monstre marin s’y fût échoué sur un bas-fond.