Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/338

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ses énormes mâchoires avec un bruit terrible, il s’élança dans l’eau, tel qu’un rocher qui fût tombé de la berge.

Le Canadien n’avait pas été moins prompt que le Comanche, et un second coup de rame fit voler l’embarcation plus rapidement encore ; l’ours n’atteignit que le vide, et ses deux pattes ne frappèrent que la surface du fleuve.

« Hourra ! s’écria Pepe à moitié suffoqué par les tourbillons d’écume qui fouettaient son visage ; ferme ! Bois-Rosé, ferme ! Comanche, vous avez manœuvré comme deux fiers marins. Eh ! là-bas, vos haches, si vous ne voulez pas que cette vermine nous coule bas. »

Les trois Indiens s’étaient précipités de l’avant à l’arrière, et, au moment où l’animal furieux, hurlant, écumant de rage et les yeux enflammés, n’était plus qu’à un demi-pied du canot, leur hache levée étincelait dans leurs mains.

« Frappez donc ! » hurla Pepe.

Les Indiens n’avaient pas besoin de ses exhortations qu’ils ne comprenaient pas, et les trois haches retentirent sur le crâne du colosse, comme trois coups de marteau sur une enclume.

« Encore ! encore ! cria de nouveau Pepe. Cette vermine a la vie dure.

– Silence donc ! pour Dieu ! dit Bois-Rosé ; les Indiens ne sont pas… »

Au milieu des hurlements de rage de l’ours, un éclair soudain brilla sur la rivière teinte de sang et fut en même temps suivi d’une détonation qui retentit aux oreilles des navigateurs comme si c’eût été la trompette du jugement.

« Demonio ! qu’est ceci ? s’écria l’Espagnol à l’aspect d’un corps s’agitant convulsivement et tombant dans l’eau, tandis que le canot fuyait toujours. Qu’est ceci ?

– Rien qu’un Apache qui tombe dans la rivière, un chien affamé qui se noie, » répondit l’Indien.