Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/340

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mesure, quand un espace plus large, laissé entre la poupe du canot et le mufle gigantesque de l’obstiné nageur, prouva que la fatigue ou le découragement commençait à s’emparer de lui.

« Hardi sur l’aviron ! cria de nouveau l’Espagnol ; la vermine perd du terrain. »

Les rameurs redoublèrent d’efforts, et la distance s’agrandissait de plus en plus.

« Encore, encore ! là… bien… Arrêtez-vous un instant tous deux, s’il est possible, pour que je puisse viser ce diable enragé à l’endroit où je vois briller son mufle noir sous ses longs poils.

– Non pas, non pas, s’écria vivement le Canadien, et sans se rendre au désir de son compagnon ; gardez votre balle pour cet Indien qui arrive sur nous au galop. »

Le canot flottait en ce moment entre des rives plus basses, qui permettaient, malgré les ténèbres, de jeter un coup d’œil dans la plaine. Des ombres noires de chevaux et de cavaliers bondissaient parmi les hautes herbes. Un autre danger, plus immédiat, allait rendre plus périlleuse la situation précaire des navigateurs.

L’ours avait ralenti ses efforts, nous venons de le dire ; mais c’était pour changer de tactique : il s’était dirigé en ligne oblique vers la rive.

« Abordez en diagonale, Bois-Rosé, cria Pepe, qui suivait tous les mouvements de la bête furieuse, ou l’animal va nous couper le chemin et nous attaquer par l’avant. »

Rayon-Brûlant jeta un coup d’œil de côté, et il vit en effet l’ours fendre l’eau à quelque distance de la terre. Le Comanche poussa l’embarcation sur la droite, vigoureusement secondé par Bois-Rosé, que l’avertissement de l’Espagnol avait trouvé prêt à s’y conformer. Ce fut en ligne oblique aussi que le canot vola vers le rivage, et, au moment où l’ours s’élançait à terre, le jeune Coman-