Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/345

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Les voyageurs ne purent, dans le premier moment qui suivit celui de leur retraite, se dissimuler que, pour déloger les Indiens du poste avantageux d’où ils dominaient la rivière, ou pour forcer le passage, ils étaient exposés à perdre un temps précieux ou à courir risque de leur vie.

Il fallait donc se résoudre, sinon à faire abandon de leur canot pour éviter ces deux alternatives, ce qui était renoncer à une précieuse ressource pour voyager promptement et sans fatigue, du moins à essayer de le transporter à bras au delà de l’endroit gardé par leurs adversaires.

Ils avaient à peine commencé à échouer avec précaution l’embarcation sur la rive qu’ils occupaient, quand, au sommet des arbres sous lesquels les Indiens s’étaient retirés, une vive et subite clarté illumina autour d’eux la rivière et ses bords, et au même instant quelques balles vinrent couper et briser les roseaux à peu de distance du canot.

C’était sans doute un signal de feu que les Indiens transmettaient à quelque autre parti des leurs encore éloigné.

Les faisceaux d’herbes sèches recueillies dans la plaine ne projetèrent qu’une clarté aussi passagère qu’éblouissante. Un instant néanmoins la silhouette gigantesque du Canadien, et celle assez remarquable du chasseur espagnol, se dessinèrent nettement au milieu de la teinte rougeâtre qui s’étendait à une assez grande distance Tout à coup, les cris : « L’Aigle des Montagnes-Neigeuses ! l’Oiseau-Moqueur ! le Crâne-Sanglant ! » trois noms par lesquels les Indiens désignaient le Canadien, le carabinier et le gambusino scalpé, apprirent aux trois chasseurs blancs qu’ils venaient d’être reconnus.

« Pourquoi le grand chasseur au visage pâle s’appelle-t-il l’Aigle ? cria une voix railleuse, puisqu’il n’a pas su dissimuler sa trace depuis les Collines-Brumeuses