Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/356

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que par le bruit monotone des avirons qui fendaient les eaux du fleuve.

Un lugubre incident vint encore ajouter à la sombre majesté de ces heures solennelles.

Étendu au fond du canot, le Comanche blessé, jusqu’alors resté sans mouvement, commença de jeter de temps à autre un gémissement sourd, comme si l’âme luttait contre les derniers liens qui l’attachaient au corps.

« Wah-Hi-Ta entend la voix de ses pères, murmura l’Indien en s’agitant faiblement au fond de la barque.

– Que lui disent-ils ? demanda Rayon-Brûlant en cessant un instant de ramer.

– De chanter son chant de mort, répondit le Comanche. Mais Wah-Hi-Ta n’en a plus la force ; puis ces voix l’appellent et lui disent de venir.

– Rayon-Brûlant chantera pour Wah-Hi-Ta, dit doucement le jeune chef, dont la voix était si retentissante dans la bataille ; mais il chantera comme on chante sur le sentier du sang. »

Alors il fit entendre sur un ton bas et voilé une espèce de mélopée plaintive qu’accompagnait en cadence le bruissement des avirons. Ce chant mortuaire, où se trouvaient mêlés tous les hauts faits qui signalent la prudence et l’audace d’un guerrier des Prairies, soit dans les chasses aux bisons et aux animaux féroces, soit dans les hasards de la guerre, empruntait au silence de la nuit une harmonie plus triste encore.

Les chasseurs blancs ne le comprenaient pas en entier ; mais ce chant funèbre éveillait dans le cœur du Canadien de douloureuses et mélancoliques réflexions. Son jeune Fabian trouverait-il un ami pour adoucir ainsi ses derniers moments ? Plus d’une fois ces pensées amenèrent dans les yeux de Bois-Rosé des pleurs silencieux qu’il se détournait pour cacher.

Pendant ce temps, le canot promenait toujours sur le cours du fleuve et sur les deux rives les reflets rou-